Les projets OrPet (2016) et AsCOCrit (2021) portés par Gleb Pokrovski (directeur de Recherche CNRS – GET Géosciences Environnement Toulouse) et ressourcés l’un comme l’autre par le Carnot ISIFoR se sont attaqués à une importante question persistante depuis l’aube de la métallogénie : l’association de l’or (et des métaux critiques) avec la matière organique et l’arsenic.
À la frontière de plusieurs disciplines, impliquant des partenaires académiques et industriels nombreux, ils devraient conduire à l’élaboration d’un nouveau modèle conceptuel des systèmes métallifères pétroliers. Nous faisons aujourd’hui le point sur la succession de ces projets liés l’un à l’autre et leurs premières conclusions.
DES QUESTIONNEMENTS TRÈS ANCIENS
Soutenus par ISIFoR (2017-2024) OrPet et AsCOCrit visent à étudier le potentiel métallifère des bassins sédimentaires ‒ anciens réservoirs pétroliers ‒ et, notamment, le rôle de la matière organique et l’arsenic dans l’accumulation des métaux. Ces deux ingrédients clés de ces systèmes représentent l’une des plus vieilles énigmes en métallogénie. En effet, la majorité des gisements d’or, mais aussi des métaux stratégiques (e.g. Mo, Re, Co, U…) dans le monde, sont étroitement associés avec des formations riches en matière organique ou ses produits de métamorphisme (shales, bitumes, graphite). Des exemples de cette association entre les métaux et le carbone sont très nombreux, à savoir les gisements d’or de type Carlin de l’Amérique du Nord, les grands gisements de type orogénique en Asie et Afrique ou encore le célèbre Witwatersrand en Afrique du Sud. Dans la plupart de ces gisements, la grosse part de l’or est sous la forme dite « invisible » (i.e. indétectable par les méthodes de microscopie), dissoute dans la structure des minéraux majeurs comme la pyrite et l’arsénopyrite. Ce sont des véritables pompes à or qui peuvent encaisser jusqu’à 1000 mg/kg d’or ‒ une concentration un million de fois supérieure à la teneur fructueuse moyenne d’or dans la croûte terrestre. Cet or invisible est étroitement associé à l’arsenic dans la pyrite. Ainsi, depuis l’aube de la métallogénie, géologues miniers, pétroliers et géochimistes se posent les mêmes questions : Quelle est la véritable nature des associations or-matière organique-arsenic : hasard ou symbiose ? Les roches sédimentaires des systèmes pétroliers peuvent-elles servir de source ou de piège pour l’or et d’autres métaux critiques ? Quelle est la source de l’or et comment est-il transporté et déposé dans ces systèmes ?
LE LIEU DE NAISSANCE DU PROJET
Les mêmes questions se posent pour les gisements beaucoup plus jeunes, de quelques dizaines de millions d’année d’âge, comme ceux au Pérou qui sont associés à des réservoirs sédimentaires appartenant à d’anciens bassins pétroliers dans la chaine appelée les Écailles du Marañón au Pérou. Cette chaine extraordinaire contient de nombreux gisements d’or comme Shahiundo et Algamarca ‒ notre principal site d’étude (figure 1) . Les mécanismes contrôlant sa formation et son évolution restent inconnus et, notamment, le rôle de la matière organique dans la concentration de l’or.
UNE RECHERCHE MULTIDISCIPLINAIRE, DES ACTEURS ACADÉMIQUES ET INDUSTRIELS NOMBREUX
La compréhension de ces systèmes complexes à très fort potentiel de valorisation, dû à la présence, en parallèle avec l’or, d’autres métaux critiques, nécessite une approche intégrée, expérimentale, analytique, de modélisation et de terrain. De ce besoin est né le projet OrPet qui à réunit, pour la première fois, des membres de l’équipe du GET ayant des expertises très différentes allant de la chimie moléculaire à la géodynamique des grands bassins et chaines de montagne, avec des partenaires sud-américains, académiques (Universidad de Lima et de Brasilia) et industriels (Ingemmet et PeruPetro) tout en y associant des étudiants en doctorat et en master (figure 2). En outre, au cours du projet, de nouvelles collaborations se sont rajoutées; telles que celles avec l’ESRF, l’université de Genève et l’université Laval au Québec. Fort de cette synergie de collaborations et d’approches, les chercheurs ont pu mener une étude combinée interdisciplinaire, multi-échelles qui est indispensable de nos jours pour l’étude des géoressources.
Tout d’abord, plusieurs campagnes de terrain ont été effectuées afin d’identifier la position du minerai à l’échelle du gisement et du bassin sédimentaire. Contrairement aux modèles traditionnels plaçant le minerai dans les roches riches en MO, il se trouve bien au-dessus de ces roches, nécessitant des chemins des fluides traversant les couches de MO. Les chercheurs ont conduit une modélisation structurale à l’échelle du bassin qui a permis de reconstituer l’histoire thermique du bassin et d’identifier les chemins potentiels de migration des fluides qui étaient d’abord des fluides pétroliers, puis des fluides aqueux métallifères qui ont suivi les mêmes chemins. Cette modélisation a bénéficié des modèles numériques très utilisés par les pétroliers, mais quasiment inconnus en métallogénie. Des campagnes analytiques systématiques ont été effectuées sur les échantillons collectés. Elles ont permis d’identifier, à l’échelle du minéral, les différentes étapes de minéralisation, d’établir des corrélations entre éléments, d’étudier les inclusions fluides, qui permettent de remonter à l’origine du fluide métallifère. L’or « invisible » se concentre avec l’arsenic dans la pyrite et l’arsénopyrite, pas d’or dans la matière organique et les roches sédimentaires encaissantes. La plupart des métaux, y compris l’or, sont d’origine magmatique. Bien que ces résultats précieux nous fournissent des pistes pour reconstituer le processus de formation, elles ne permettent pas, à elles seules, de répondre à la question fondamentale : quel est le rapport entre l’or, la matière organique et l’arsenic ? On atteint ici les limites des méthodes de la métallogénie traditionnelle. D’autres approches étaient nécessaires et l’une de ces approches peut être la modélisation des interactions fluide-roche.
UN RÔLE INATTENDU DE LA MATIÈRE ORGANIQUE
L’une de telles approches est de modéliser les interactions fluide-roche en utilisant les connaissances de la spéciation chimique et de la thermodynamique des fluides hydrothermaux ‒ une des spécialités du GET. Ces modèles ont simulé le passage d’un fluide typique magmatique porteur d’or à travers une roche sédimentaire modèle ‒ un grès contenant de la matière organique. Contrairement à un paradigme très répandu parmi les métallogénistes selon lequel le carbone organique est un piège pour l’or et doit le précipiter par réduction, les modélisations numériques ont montré tout le contraire : le carbone organique favorise la solubilité de l’or dans le fluide. Ceci est dû à un effet combiné du changement des différents paramètres du fluide (teneur en soufre, acidité et propriétés redox) qui favorise l’or dissous sous forme d’espèces sulfurées en phase fluide en empêchant la précipitation du métal. On a trouvé ainsi un moyen très efficace de transporter l’or dans les roches sédimentaires, mais encore faut-il le piéger dans la pyrite. C’est ici que l’arsenic entre en jeu.
LE RÔLE DE L’ARSENIC
Les chercheurs de l’équipe ont tenté de comprendre comment l’or se concentre dans la pyrite, en associant des expériences de synthèse hydrothermale de pyrites aurifères conduites au sein de la plateforme GME du réseau Extra&Co d’ISIFoR au GET, avec des analyses de minéraux naturels et leurs analogues synthétiques par spectroscopie d’absorption de rayons X de haute résolution sur synchrotron (ESRF, Grenoble) et leurs modélisations physico-chimiques et moléculaires. Les résultats obtenus ont permis aux chercheurs de découvrir que l’or s’incorporait dans la structure cristalline du minéral par une réaction redox, en se liant très fortement à l’arsenic. Ce couplage or-arsenic à l’échelle atomique permet d’expliquer, pour la première fois et de manière quantitative, les phénomènes d’incorporation et ensuite de libération de l’or par ces minéraux hôtes aboutissant à la formation des ressources aurifères sur Terre. Cette partie de l’étude a fait l’objet notamment d’un Publi’Story de l’Institut Carnot (http://www.carnot-isifor.eu/publi-story-une-pompe-a-or-dans-la-croute-terrestre/) et a eu un impact médiatique conséquent, avec plus de 15 retombées dans les médias.
IMPACT SCIENTIFIQUE ET ÉCONOMIQUE DU PROJET OrPet
En mettant ensemble les résultats de toutes ces approches complémentaires mises au point dans ce projet, les chercheurs ont pu élaborer un nouveau modèle conceptuel de la genèse de gisements aurifères dans les bassins sédimentaires (figure 3). Ce modèle met en avant une action couplée de la matière organique et de l’arsenic combinée avec une géodynamique favorable et une source magmatique des fluides et des métaux. Un fluide magmatique épithermal a transporté l’or et de l’arsenic de manière focalisé à travers les roches riches en carbone organique guidé par les failles et pièges structurales comme les anticlinaux. Puis il a déposé l’or de manière concentrée, avec l’arsenic, dans la pyrite arsénifère. Ce modèle a fait l’objet d’un grand article à Economic Geology (Vallance et al., 2023) qui devrait avoir un impact considérable pour la métallogénie. Ses résultats changent des paradigmes très répandus en ressources minérales et proposent de nouvelles pistes pour l’exploration des ressources métalliques.
VERS UN NOUVEAU MODÈLE CONCEPTUEL DES SYSTÈMES MÉTALLIFÈRES PÉTROLIERS
Les concepts que le projet OrPet a permis d’établir sont appliquées pour d’autres métaux trace critiques et associés qui sont cachés dans les minéraux majeurs comme la pyrite, sont perdus lors de l’extraction de l’or et se retrouvent ainsi dans les résidus miniers (tailings). Pour comprendre leur comportement dans les bassins sédimentaires, les processus de piégeage et concentration et les interactions carbone organique – fluide métallifère, il faut des approches expérimentales et de spectroscopie in situ qui sont au cœur du projet AsCOCrit. Une leçon de ces projets est que pour comprendre les géoressources il faut des outils combinés, allant d’une analyse structurale et tectonique à l’échelle du bassin jusqu’une géochimie et minéralogie très fines couplées à des modélisations physico-chimiques à l’échelle moléculaire. La combinaison de toutes ces approches devrait aboutir à un modèle conceptuel géodynamique et géochimique des systèmes métallifères pétroliers. Plus généralement encore, les nouvelles méthodes expérimentales, analytiques et de modélisation développées pourront servir dans des domaines très différents comme l’extraction et le traitement des minerais ou encore la synthèse hydrothermale de nanomatériaux où la connaissance fine des fluides hydrothermaux et leurs interactions avec les minéraux est primordiale.
Référence
Vallance J., Galdos R., Balboa M., Berna B., Cabrera O., Baya C., Van De Vyver C., Viveen W., Béziat D., Salvi S., Brusset S., Baby P., Pokrovski G.S. (2023) Combined effect of organic carbon and arsenic on the formation of sediment-hosted gold deposits: A case study of the Shahuindo epithermal deposit, Peru. Economic Geology (in press).
Gleb Pokrovski – GET
gleb.pokrovski@get.omp.eu