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6 novembre 2024

Des déchets miniers pour affronter la transition énergétique

Pascale Benezeth (GET) et Léna Rossi (GET)

En septembre 2024 Pascale Benezeth (DR CNRS, GET) et Léna Rossi (Postdoc GET) se sont rendues en Italie sur deux sites miniers de Ligurie. Leur objectif premier : constater la diversité des minéraux carbonatés (dont certains contiennent des métaux critiques) présents dans les résidus d’anciennes exploitations minières montrant un analogue naturel de la carbonatation minérale ex-situ en contexte ultramafique.

[ISIFoR] Quelles spécificités présentent les sites que vous avez visité lors de votre déplacement ? Où sont-ils situés ?

Photo 2 : Lentille riche en sulfate de fer (entre les lignes pointillées) (Mine Monte Ramazzo, Italie)

Photo 1 : Mine de Monte Ramazzo, Italie

Les sites que nous avons visités avec deux collègues italiens, Pr. Donato Belmonte de l’Université de Gênes et Pr. Giuseppe Saldi de l’Université de Pérouse, sont deux anciens sites miniers. Le premier (Mine de Monte Ramazzo) est situé dans l’arrière-pays de Gênes en Ligurie et s’étend sur les pentes du mont Ramazzo, au cœur des Apennins liguriens1 (Photo 1) au sein du massif de Voltri, le plus grand massif ophiolitique métamorphique de la chaîne Alpes-Apennins constitué à cet endroit de serpentinites (Mg3Si2O5(OH)4). Ces dernières se sont formées par serpentinisation (hydratation et transformation métamorphique) d’une roche composée presque entièrement de minéraux silicatés ferromagnésiens, tels que l’olivine et le pyroxène (roches ignées ultramafiques). La mine de Monte Ramazzo, assez ancienne (1465) et dont l’exploitation s’est arrêtée dans les premières décennies du XIXe siècle a été exploitée principalement pour le cuivre mais aussi des sulfates de fer et plus tardivement de magnésium. La minéralisation primaire consiste en des disséminations plus ou moins denses de pyrrhotite (Fe₁₋ₓS), pyrite (FeS2), chalcopyrite (CuFeS₂) au sein de serpentinites compactes (Photo 2).

Les roches ont subi une altération hydrothermale et puis météorique entrainant la présence de veines de brucite (Mg(OH)₂) (Photo 3) et l’assemblage de plusieurs minéraux carbonatés de magnésium comme par exemple l’hydromagnésite (Mg5(CO3)4(OH)2·4H2O) (Photo 3) et d’autres riches en carbonates de Co, Cu et Zn du groupe de la rosasite-malachite :  malachite (Cu2CO3(OH)2) (Photo 4),  Co-kolwesite (Co(CO3)(OH)2)).

Photo 7 : Mine de Carro

 

D’autres minéraux comme la ramazzoite2 ont été découverts ainsi que certains, plus rares où le magnésium est associé au cuivre notamment la mcguinnessite ((Mg,Cu)2(CO3)(OH)2) (Photo 5), qui nous intéressent particulièrement dans le projet CO2MET, ou contenant du Fe (brugnatellite (Mg6Fe3+(CO3)(OH)13 · 4H2O)) (Photo 6).

Le deuxième site est la mine de Carro (Photo 7, avec Léna Rossi, postdoctorante du projet CO2MET) qui se trouve dans la province de La Spezia, également en Ligurie3.

Cette ancienne mine est particulièrement reconnue pour l’exploitation de la brucite fibreuse (Photos 8&9) formée au cours de la serpentinisation des péridotites. Elle se transforme ensuite en hydromagnésite (Mg5(CO3)4(OH)2 · 4 H2O) (fine couche blanchâtre au-dessus de la brucite) au cours de l’altération à plus basse température. Outre la présence de serpentinites et de lizardite (Mg3Si2O5(OH); Photo 10), plusieurs autres minéraux de carbonates de magnésium et de calcium ont déjà été identifiés sur ce site (nesquehonite (MgCO3· 3H2O), aragonite (CaCO3), calcite (CaCO3)) ainsi que du chrysotile ((Mg)3Si2O5(OH)4) (Photos 9&11).

[ISIFoR] Comment ce type de sites s’inscrit dans la recherche en cours ?

Avec le développement des sources d’énergie renouvelables, essentiel pour atténuer les effets du changement climatique, la demande pour certains métaux de base (Fe, Mg, Zn) et des métaux critiques (Co, Cu, Ni, Sc) ne cesse de croître. Ce type de sites présentent un intérêt au travers des déchets miniers ultramafiques riches en Mg et Ca qui subsistent et de leurs concentrations en métaux critiques qui peuvent être encore présents après l’exploitation minière car ils pourraient être récupérés et revalorisés par la suite. Ces résidus ont la particularité de réagir rapidement pour former des carbonates hydratés (tels que la nesquehonite (MgCO3 ·3 H2O), la dypingite (Mg₅(CO₃)₄(OH)₂·5H₂O.) et l’hydromagnésite (Mg5(CO3)4(OH)2 ·4 H2O)), qui non seulement piègent le CO₂ atmosphérique via des processus de carbonatation ex-situ à basse température, mais concentrent également les métaux critiques et/ou toxiques. Ce type de sites que nous avons visité s’inscrit donc dans deux problématiques qui sont de capter et stocker le CO2 tout en améliorant la durabilité de la transition vers les énergies renouvelables grâce à la revalorisation des déchets miniers. C’est ce que propose le projet CO2Met (Coupler le stockage du CO₂ et la récupération des métaux critiques pour la transition énergétique). Ce dernier a pour objectif général d’acquérir des données expérimentales démontrant la capacité des minéraux carbonatés magnésiens hydratés à séquestrer et immobiliser certains métaux critiques (Co, Cr, Cu, Ni, etc.) via la carbonatation ex-situ à basse température de résidus miniers ultramafiques riches en magnésium. Au cours du projet CO2-MET, nous avons étudié la relation entre le cuivre et les carbonates de magnésium hydratés au travers d’expériences de co-précipitation et d’adsorption en conditions contrôlées de laboratoire. L’objectif majeur étant de déterminer les conditions favorables à la formation du minéral rare de carbonate de magnésium riche en cuivre, la mcguinnessite (Mg,Cu)2(CO3)(OH)2), échantillonné par D. Belmonte sur le site minier Monte Ramazzo en Italie (cf Photo 5). L. Rossi a réussi à synthétiser ce minéral dans des conditions physico-chimiques très particulières (température, concentration en Cu, minéral primaire…) identifié par DRX et MEB (Photo 12).

[ISIFoR] Ces sites (anciennes mines et les déchets qui leurs sont liées) sont-ils nombreux en France et sur le continent européen ?

Actuellement près de 3000 carrières et 123 mines sont toujours exploitées en France et Territoire Outre-Mer pour le sel en Meurthe et Moselle ou dans les Landes par exemple, la bauxite dans l’Hérault, le calcaire bitumineux, l’étain-tantale-niobium dans l’Ariège où se trouve également la plus grande carrière de talc au monde ou encore l’or et le nickel respectivement exploités en Guyane et en Nouvelle Calédonie4. En 2028, l’exploitation d’une mine de kaolin, un minerai utilisé pour la fabrication de la porcelaine située dans l’Allier, pourrait devenir l’une des premières mines de lithium en Europe. Ces mines sont essentielles pour répondre aux besoins en métaux et minéraux indispensables à l’industrie, à la technologie et à la transition énergétique. Cependant, elles laissent derrière elles des résidus qui peuvent poser des problèmes sanitaires et environnementaux. Les déchets générés par certaines mines ont déjà eu un impact avéré sur l’environnement, comme dans les Cévennes où la contamination est attribuée à d’anciennes mines de plomb et de zinc5. La mine de Salsigne, située près de Carcassonne, était autrefois l’un des plus grands producteurs d’or en Europe. Elle a également produit de l’arsenic en tant que sous-produit de l’extraction de l’or. À la fermeture de la mine en 2004, d’énormes quantités de déchets contaminés à l’arsenic ont été laissées sur place. La vallée de l’Orbiel, où se trouve la mine, est fortement contaminée par l’arsenic, entrainant des risques sanitaires et environnementaux6. Autre exemple, en Aveyron, la région de Decazeville a connu une exploitation minière importante, en particulier pour le zinc et le plomb dont les résidus ont entrainé une pollution significative en cadmium, en plomb et en arsenic. Le cadmium et d’autres métaux lourds ont été retrouvés dans les eaux de la Gironde, et même dans les huîtres, montrant la capacité des métaux toxiques à se déplacer sur de grandes distances à travers les réseaux hydrologiques7. L’Europe abrite également une grande diversité d’anciens sites miniers autrefois exploités pour divers métaux de base (fer, cuivre, zinc) et critiques (nickel, cobalt, terres rares), notamment en raison de son histoire industrielle riche8. Par exemple, l’ancien site minier de tungstène situé au Portugal avait été sélectionné dans le cadre du projet ENVIREE afin d’étudier et développer des procédés d’extraction de terres rares à partir de déchets miniers9. En conclusion, la France et l’Europe comptent de nombreux anciens sites miniers dont les déchets posent des défis environnementaux et sanitaires. Toutefois, ils représentent également des opportunités pour la recherche sur la réhabilitation et le recyclage, particulièrement dans un contexte de transition énergétique et de besoin accru en métaux critiques.

[ISIFoR] Quelles seront les prochaines étapes des travaux réalisés et liés à ce terrain ?

Les prochaines étapes consisteront dans un premier temps à approfondir l’analyse des résultats obtenus expérimentalement en laboratoire. Nous les confronterons ensuite si possible aux données issues de la caractérisation d’échantillons naturels de mcguinnessite provenant du site de Monte Ramazzo, grâce à une collaboration avec l’Université de Gênes (D. Belmonte). Cette comparaison nous permettra de mieux évaluer la capacité réelle de séquestration du Cu par les carbonates de Mg et leur potentielle utilisation dans le cadre du CCUS. Dans un second temps, ces recherches pourront être étendues à de nouveaux métaux critiques tel que le Zn et le Co par exemple. Pour finir, cela permettra également de renforcer les collaborations internationales initiée dans ce projet pour de futurs projets et explorer de nouvelles applications.

Références :

  • 1 Mine Monte Ramazzo : https://www.mindat.org/loc-2076.html
  • 2 Kampf R., Rossman G. R., Ma C., Belmonte D., Biagioni C., Castellaro F., Chiappino L., 2018, « Ramazzoite, [Mg8Cu12(PO4)(CO3)4(OH)24(H2O)20][(H0.33SO4)3(H2O)36], the first mineral with a polyoxometalate cation.» European Journal of Mineralogy, 30(4), 827–834. doi:10.1127/ejm/2018/0030-2748 
  • 3 Mine de Carro : https://www.mindat.org/loc-63315.html
  • 4 Site internet, consulté le 05 octobre 2024: https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-sites-dextraction-de-matieres-minerales-et-energetiques-en-france-pres-de-3-000-carrieres-123
  • 5 BRGM, 1997, « Les résidus miniers Français : typologie et principaux impacts environnementaux potentiels », BRGM 96-F-211
  • 6 Delplace G., Viers J., Schreck E., Oliva P., Behra P. 2022. Pedo-geochemical background and sediment contamination of metal(loid)s in the old mining-district of Salsigne (Orbiel Valley, France). Chemosphere, 287(2) 132111, https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2021.132111
  • 7 Lanceleur et al., 2011. Long-term records of cadmium and silver contamination in sediments and oysters from the Gironde fluvial–estuarine continuum – Evidence of changing silver sources. Chemosphere, Vol. 85 (8), pp. 1299–1305. http://dx.doi.org/10.1016/j.chemosphere.2011.07.036
  • 8 Vic G., 2017, « Mines européennes. Quelques exemples de mines de métaux ». Collection « La mine en France ». Tome 10, 43 p.
  • 9 Site internet consulté le 5 octobre 2024 : BRGM : https://www.brgm.fr/fr/reference-projet-acheve/enviree-exploiter-dechets-miniers-favoriser-independance-terres-rares