Actualités

RETOUR
30 janvier 2025

Géothermie profonde des Pyrénées, une ressource énergétique durable pour répondre aux besoins de la population ?

Stéphanie Duchêne – Olivier Vanderhaeghe – Audrey Taillefer et Sylvia Becerra (de haut en bas, de gauche à droite)

Le projet PyrTherm, coordonné par Stéphanie Duchêne1 et financé par le Carnot ISIFoR a commencé début 2024. Tourné vers la géothermie profonde dont le potentiel est pour l’instant peu considéré en France, il a été construit avec de nombreux autres chercheuses/eurs du GET et de l’IMFT. Nous la rencontrons entourée d’Olivier Vanderhaeghe2  également à l’origine du projet, d’Audrey Taillefer3 et Sylvia Becerra4 qui s’intéressera aux questions sociologiques que soulève, sur le terrain, cette possible source d’énergie locale et non délocalisable.

[ISIFoR] Qu’est-ce que le projet PyrTherm ?

[Olivier Vanderhaeghe] Aux origines de PyrTherm il y a une rencontre importante avec une entreprise : TLS Geothermics qui est une société d’ingénierie géoscientifique basée à Toulouse. Vers 2017, elle nous a sollicité pour travailler autour de la géothermie profonde ; l’idée étant d’aller chercher, le moins profond possible, une source de chaleur permettant de produire de l’électricité. Dans un premier temps cela nous a semblé à Stéphanie (Duchêne) et moi même, saugrenu : en tant que géologues spécialistes de la croûte profonde, nous n’étions pas familiers de ce type de sujets en « proche surface ». Mais cette proposition de TLS et la perspective de travailler sur un champ de recherche inédit nous plaisait. L’idée faisant son chemin, nous avons rapidement saisi ce que nous pouvions apporter avec nos expertises concernant la dynamique des racines des continents et des transferts de matière et de chaleur associés à la tectonique, au magmatisme et au métamorphisme dans la croûte profonde.

[Stéphanie Duchêne] PyrTherm vise à étudier le rôle des failles et de la topographie dans le transport de fluides géothermaux et la formation d’anomalies thermiques locales. Ce potentiel géothermal, sur le front Nord des Pyrénées, marqué par de nombreuses sources hydrothermales, n’a été que peu évalué. Nous avons donc pour objectif de combler cette lacune afin de produire un modèle géologique numérique géothermal des Pyrénées. Nous avons aussi dans l’idée de transposer cette méthodologie sur des contextes similaires en France ou dans le monde.

Taillefer et al.,
2018 sur les Pyrénées
Orientales

[Audrey Taillefer] Pour ma part, la partie à laquelle je m’attaque en tant que post-doctorante est un travail de cartographie des évidences de circulation hydrothermales et de caractérisation des failles et des roches réservoirs qui portent ces fluides. Les anomalies thermiques générées par ces failles, tout comme leur perméabilité, m’intéressent particulièrement. Étant donné qu’on possède peu de données thermiques profondes, l’utilisation de données de surface est la seule manière d’évaluer le géotherme régional.

[ISIFoR] PyrTherm vient s’articuler et s’associer à un travail sociologique financé par le Défi clé Circulades. Cette complémentarité scientifique va-t-elle de soi ?

[Olivier Vanderhaeghe] La géothermie profonde que nous allons étudier a pour finalité ultime de produire de l’électricité. Celle-ci servira, par exemple, à de la petite industrie, ou pourrait fournir de la chaleur industrielle. Nous n’en sommes pas là pour le moment. Nous menons un travail d’amélioration des connaissances afin d’identifier des sites où cette géothermie pourrait se développer. Un tel projet ne se conçoit pas sans les habitants qui vivent au-dessus ou à côté d’une « source » géothermique. C’est le travail avec TLS dans le Massif Central qui a fini de me convaincre de l’impérative construction de tous les projets entre SHS et Sciences dites dures. L’un ne peut plus aller sans l’autre et, désormais, je construis tous mes projets de cette manière.

[Sylvia Becerra] Être présente, en tant que sociologue, au sein d’une équipe de géosciences c’est une vraie chance et un vrai défi aussi car nous n’avons pas le même langage ou les mêmes échelles de pensée. Être là au quotidien permet de bien travailler ensemble ; c’est la possibilité de construire véritablement les projets, avec une vraie composante sciences humaines, dès le départ. Comme je le dis souvent : l’interdisciplinarité se construit à la machine à café ; je crois vraiment à ce mantra, la quotidienneté des interactions est une vraie force. Cela fait des projets robustes.

[ISIFoR] En même temps et sur le même terrain que PyrTherm, vous travaillez à une étude sociologique. Quelle est-elle ? où en êtes-vous de ce travail ?

[Sylvia Becerra] Nous en sommes au tout début. Nos recherches doivent permettre de recueillir les imaginaires, les émotions et les savoirs que les populations ont sur une possible exploitation de la chaleur interne de la terre sur leur territoire et cette image est forcément hétérogène et complexe. L’enjeu sera de voir s’il existe une représentation commune, quelle qu’en soit la nature. Pour le moment, quelques éléments m’ont semblé clairs. Il y a en premier lieu une ignorance sociale de la géothermie profonde ; c’est un objet très technique, sur lequel il y a peu d’informations, qui est peu publicisé, souvent confondu avec la géothermie utilisée pour le chauffage. Dans le même temps, quelques situations de crises ou de controverses relatives à celle-ci ont pu occuper tout l’espace (plutôt restreint) d’exposition médiatique de la géothermie pour en faire un problème plus qu’une solution. Ce qui semble dominer la définition du problème est la crainte des risques qui y sont associés (sismicité, pollutions) mais aussi la défense des enjeux environnementaux et démocratiques insuffisamment considérés dans les projets qui ont défrayé la chronique. C’est aussi un problème particulier, parce qu’il n’est pas porté politiquement, mais pourrait être considéré dans l’élaboration des politiques publiques à l’échelle des régions dans la mesure où elles cherchent des solutions locales pour la transition énergétique. Les représentations que se font les populations de cette source de chaleur se présentent dans ce cadre, sous la forme d’un écheveau particulièrement complexe. Il mêle en effet des contextes, des valeurs, des attentes et des émotions vis-à-vis des possibles risques et avantages que suppose la géothermie mais aussi la manière dont les projets sont conduits. C’est sur cette base, que nous allons travailler côté Sciences Sociales sur ce terrain.

 

  • 1-2-3 : Géologues – GET
  • 4 : Sociologue – GET