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27 novembre 2024

Le parcours scientifique de Kanchana Kularatne : des précipités au stockage de CO2

[ISIFoR] Quel est ton premier souvenir scientifique ?

[Kanchana] Un de mes premiers souvenirs scientifiques me ramène au laboratoire de chimie du collège, où j’ai observé une solution qui change de couleur lorsqu’on y ajoute du savon et des pétales d’hibiscus, en modifiant le pH. En revanche, je n’ai pas de souvenirs d’enfance particulièrement liés aux minéraux ou aux roches, car c’est à l’université que j’ai découvert la géologie.

[ISIFoR] Tu travailles actuellement sur le projet CarboNETS (financé par ISIFOR). Peux-tu nous en dire quelques mots ?

[Kanchana] Le captage et le stockage du carbone sont essentiels pour atténuer le changement climatique. Parmi les différentes méthodes, le stockage du CO₂ dans les minéraux est l’une des technologies les plus prometteuses, car elle capte le CO₂ gazeux et le transforme en carbonates solides et stables. J’aime utiliser la définition de Carbfix pour ce processus : « transformer le CO₂ en pierre ». Les silicates et les silicates hydratés riches en Mg²⁺, Ca²⁺ et Fe²⁺- comme l’olivine, le pyroxène et la serpentine — ainsi que les roches qui en contiennent, sont considérés comme des matériaux de choix pour le stockage du CO₂. Lorsqu’ils réagissent avec le CO₂ à des températures adaptées, ces minéraux se dissolvent en libérant des cations divalents qui se combinent ensuite avec le CO₂ dissous pour précipiter sous forme de carbonates stables. Dans le cas du stockage du carbone en ex-situ, cette réaction est connue pour atteindre une efficacité de 100 % autour de 185 °C.

Un échantillon de scorie et des images au microscope électronique à balayage de grains avant et après la carbonatation

 

Le projet CarboNETS (4-dimentional studies of fluid-rock interactions on mine slag: Implication to low temperature mineral carbonation and Negative Emission Technologies) que j’ai proposé en collaboration avec Nicolas Beaudoin (enseignant-chercheur à l’UPPALFCR UMR 5150), Catherine Noiriel (GET, Toulouse), Hannelore Derluyn et Pascale Sénéchal (DMEX), vise à étudier la réactivité des scories ultramafiques issues de l’industrie minière en présence de fluides riches en carbone, et ce, à des températures bien inférieures à l’optimum du stockage ex-situ. Les scories ultramafiques, similaires aux roches silicatées riches en Mg²⁺, Fe²⁺ et Ca²⁺, pourraient, en tant que déchets industriels, servir de matière première peu coûteuse pour la carbonatation minérale. Nous utilisons la tomographie aux rayons X pour suivre l’avancement de la réaction de manière non invasive et quantifier la carbonatation, ce qui nous permet également d’évaluer la cinétique de la réaction. Ce projet est encore en cours, et les prochaines étapes consisteront à réaliser une caractérisation chimique et minéralogique des carbonates formés, ainsi qu’à développer un modèle thermodynamique et cinétique de la réaction.

[ISIFoR] Quel est ton parcours ?

[Kanchana] J’ai obtenu une licence en géologie à l’Université de Peradeniya, Sri Lanka, où j’ai développé une véritable passion pour la géologie, et plus particulièrement pour la minéralogie et la géochimie. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai poursuivi un master en physique et chimie des minéraux au Bavarian Geoinstitute (BGI) de Bayreuth, en Allemagne, où j’ai approfondi mes connaissances sur le comportement des structures minérales soumises à des températures et des pressions élevées. Par la suite, ma thèse, réalisée l’IPGP à l’IFPEN à Paris et à Rueil-Malmaison, m’a offert l’opportunité d’explorer les interactions entre fluides et minéraux. J’y ai étudié la réactivité des roches ultramafiques dans des conditions hydrothermales, en me concentrant particulièrement sur la carbonatation, la génération d’hydrogène et la production d’hydrocarbures abiotiques. Au cours de ces recherches, j’ai développé des compétences en expérimentation des interactions fluide-roche et en utilisation de modèles thermodynamiques, tout en nourrissant un vif intérêt pour l’étude des interfaces minéraux-fluides à l’échelle nanométrique. J’ai continué d’explorer les interactions fluide-roche durant mon travail postdoctoral à l’Université de Gand, en Belgique, où je me suis concentrée sur leur application à l’Enhanced Weathering, une technologie de géo-ingénierie pour l’élimination du dioxyde de carbone. Pendant cette période, j’ai également utilisé la microtomographie aux rayons X pour étudier les interactions minéraux-fluides en 3D et en 4D, renforçant ainsi mon intérêt pour l’utilisation de cette technologie dans l’étude des interactions fluide-roche. Depuis 2021, je travaille à l’UPPA en collaboration avec le LFCR, DMEX, ESRF, GET, le réseau EXCITE et l’IFPEN sur plusieurs projets visant à surveiller les interactions fluide-roche grâce à la tomographie aux rayons X. Ces projets portent sur des thématiques telles que la caractérisation des roches génératrices d’hydrogène naturel, la dolomitisation (CoMIQUE financé par ISIFoR) et la réactivité des scories minières à basse température (CarboNETS financé par ISIFoR).

[ISIFoR] Quelle avancée/découverte scientifique te fait rêver ?

[Kanchana] Les avancées dans le domaine de la séquestration du CO₂ m’intéressent tout particulièrement. Depuis que j’ai commencé à travailler sur le stockage du carbone, j’ai été témoin de deux progrès significatifs. Premièrement, certains projets de stockage de carbone qui étaient encore au stade pilote sont désormais devenus opérationnels. Deuxièmement, le nombre croissant de financements dédiés aux deeptechs permet aujourd’hui de lancer de nombreuses start-ups dans ce domaine. Chaque effort compte pour atteindre l’objectif de neutralité carbone.

Contacter Kanchana Kularatne