[Carnot ISIFoR] L’IMFT est un institut reconnu internationalement, avec un grand nombre de chercheur-e-s, centré sur la mécanique des fluides, comment le qualifier en quelques mots?
[Éric Climent] Aujourd’hui l’IMFT est un acteur important de la recherche dans son domaine. C’est l’un des plus grands laboratoires européens sur la thématique de la mécanique des fluides. Cela représente environ 220 personnes avec 72 enseignants-chercheurs (ce qui est rare sur une thématique aussi resserrée), 35 personnels d’appui à la recherche, 80 doctorants et 20 post-doctorants.
Notre institut a donc une identité très forte, il couvre, par ses recherches, toute la mécanique des fluides, les enjeux sociétaux qui lui sont liés et il développe en permanence une intense activité de recherche partenariale avec les industriels.
[Carnot ISIFoR] Dans un environnement marqué ces 30 dernières années par le rapprochement de la recherche et de l’industrie, de quelle manière l’Institut s’est adapté, organisé, pour accompagner un tel rapprochement ?
[Éric Climent] Lors de ma thèse, dans les années 90, je voyais certains de mes camarades qui préparaient également leur thèse et qui avaient des financements industriels, d’autres collègues étaient quant à eux à temps partagé entre l’institut et des entreprises comme EDF, Renault ou Total. À l’IMFT, la proximité entre recherche et industrie est plutôt ancienne, elle est bien établie. Elle est cependant montée en puissance depuis une vingtaine d’années.
Nous travaillons de plusieurs manières avec les industriels. De par sa taille et ses liens anciens avec l’industrie, l’IMFT se trouve souvent en contact direct avec les centres de R&D des grands groupes. À travers cet échange, on détermine ensemble, en fonction des problématiques scientifiques des groupes, la manière dont les sujets se posent et la façon dont notre institut peut s’en « emparer ». Nous sommes très régulièrement en lien avec des EPIC (CEA, IFP-EN, CNES…) qui, souvent, ont commencé à identifier les questions sur lesquelles ils nous proposent de travailler.
Pour résumer nous avons trois grands champs de collaboration avec les secteurs applicatifs :
- les sciences de l’ingénieur qui développent une importante activité partenariale (grands groupes industriels, EPIC, quelques PME),
- la mécanique des fluides dans le domaine de l’environnement (énergéticiens (SUEZ pour la gestion de l’eau ou EDF pour l’impact des infrastructures), collectivités territoriales, agences (agence de l’eau, Office Français de la Biodiversité)),
- la mécanique des fluides pour les milieux vivants et le biomédical (cliniques, CHU, fondations).
Si l’on veut faire un tableau rapide de nos sources de revenus, on peut dire que depuis 2009 il y a une forme de stabilité du total des financements : industriel, public (tutelles, région, ANR) et européen en augmentation (l’IMFT a récemment obtenu 6 ERC ce qui est une belle réussite).
[Carnot ISIFoR] Qu’est-ce que représente la recherche partenariale pour un institut comme l’IMFT ? et qu’apporte le label Carnot à l’IMFT ?
[Éric Climent] Comme on vient de l’évoquer la recherche partenariale est une composante importante de nos sources de financement. Je rajouterais qu’elle est essentielle à la recherche puisqu’elle participe au ressourcement de nos thématiques scientifiques. Pour nous sur 22 thèses soutenues chaque année, 12 viennent du privé et 10 sont financées par de l’argent public (national ou international). La recherche partenariale permet donc de faire émerger de nouvelles thématiques de recherche, de renouveler les questionnements, de les rattacher aux enjeux de société. Chez nous, ce croisement recherche partenariale et publique a toujours été promu, je dirais que tout le monde fait de tout. Ne pas faire de tout ce serait se couper du fonctionnement global de la société dans laquelle nous évoluons.
Quant au label Carnot, c’est sans doute le dispositif des PIA le plus vertueux que je connaisse car il est valorisant pour toutes ses parties prenantes, ce qui explique probablement son succès. Année après année je constate qu’il fonctionne bien, dans l’état d’esprit qui existait à ses débuts.
[Carnot ISIFoR] En quoi la taille de l’lMFT est un atout dans l’univers compétitif de la recherche actuelle ?
[Éric Climent] Sa taille et sa longue histoire sont des forces. Notre rôle de formateur renforce encore notre visibilité car nos diplômés partent ensuite ailleurs, dans les entreprises. Cela crée un réseau d’anciens très actif et crée un effet vertueux pour l’institut. Cet effet est aussi réel à l’international, il y a 40 % d’étudiants étrangers à l’IMFT et 50 % de nos articles sont signés de co-auteurs hors de notre laboratoire, ceci est important pour nous. Mais il y a encore des progrès à faire pour aller vers plus de pérennité dans nos partenariats internationaux.
[Carnot ISIFoR] L’IMFT c’est un institut avec une très longue histoire, plus de 100 ans… comment présenter l’Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse ?
[Éric Climent] C’est en effet une longue histoire avec des phases très différentes. À l’origine il y avait une école d’ingénieurs : l’IET (l’Institut Électrotechnique de Toulouse, fondée en 1907). Cette école a rapidement eu besoin de moyens d’essais en hydraulique pour former ses élèves (l’hydroélectricité était alors en plein développement dans les Pyrénées). Son directeur, Charles Camichel, avait négocié avec le maire de Toulouse un lieu où installer un laboratoire. L’île du Ramier était peu ou pas urbanisée, située au cœur de la ville, avec un accès aisé aux eaux de la Garonne ; voilà qui était particulièrement propice à l’installation du Laboratoire de Recherches Hydrauliques dans ce lieu qu’il n’a plus quitté depuis.
Le laboratoire a connu trois grandes phases de développement et de diversification de ses activités :
- une phase hydroélectrique de la création du laboratoire jusqu’aux années 40 (avec la naissance d’EDF),
- une phase aéronautique à partir des années 30,
- une phase de diversification (modélisation de la turbulence, transferts en milieux poreux, écoulements diphasiques, combustion, biomécanique…) avec le rattachement au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) en 1966 et à l’UPS (Université Paul Sabatier) en 1996.
A partir des années 80 et jusqu’à aujourd’hui les thématiques d’études continuent de se multiplier, les partenariats industriels deviennent plus nombreux, accompagnés d’une ouverture internationale.
[Carnot ISIFoR] Dernière question, plus personnelle : Comment es-tu arrivé là ?
[Éric Climent] Je suis d’ici…, enfin quand je dis je suis d’ici c’est que j’ai fait ma thèse à l’IMFT de 1993 à 1996. Ensuite je ne suis pas revenu dans ma Provence natale mais je me suis dirigé vers l’Alsace où j’ai été maître de conférences à Strasbourg de 1997 à 2003. Mes pérégrinations ne se sont cependant pas arrêtées car pendant deux années j’ai travaillé aux États-Unis avant de revenir en 2003 à Toulouse. Je me suis intéressé à ce moment-là au génie chimique (jusqu’en 2008) puis investi au sein de l’ENSEEIHT. J’ai enfin rejoint des postes avec une importante part administrative (2011-2015 directeur-adjoint puis directeur de l’IMFT depuis 2016), activités qui me laissent cependant un peu de temps pour faire de la Recherche que je ne compte pas laisser tomber.